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QUEL HÉRITAGE POLITIQUE POUR LE PRÉSIDENT ALASSANE OUATTARA ?

Après plus de 20 années dans l’opposition politique et 14 années passées au pouvoir, le Président Alassane Ouattara est incontestablement un baobab de la scène politique en Côte d’Ivoire, à l’instar de feu Henri Konan Bédié et de Laurent Gbagbo, tous deux anciens présidents de la République. Si deux partis de l’opposition (PDCI et PPA-CI) ont dévoilé le nom de leur candidat respectif à la prochaine élection présidentielle, le parti au pouvoir laisse toutefois planer le doute quant à la question de savoir si son mentor briguera un nouveau mandat ou pas. A cette heure critique où se jouent son parcours et sa carrière politiques (partira ou partira pas ?), il est opportun de s’interroger sur l’héritage politique que le Président Ouattara laissera à la postérité.

Lorsqu’on pose la question aux militants du RHDP sur l’héritage politique de leur mentor, tous se gargarisent de ses performances économiques et de ses réalisations en matière d’infrastructures. Il est indéniable que le Président Ouattara a à son actif des faits majeurs dans ces domaines, ce que ne nient pas certains de ses opposants. Toutefois, ce qu’il faut savoir, c’est que tout ne se mesure pas en termes de réalisations économiques et financières dans un pays. Les ponts et chaussées s’adressent aux sens, alors que l’héritage politique s’adresse à la conscience. Quel héritage politique le Président Ouattara laissera-t-il à la postérité, notamment à la jeunesse ivoirienne et africaine ? Que devrions-nous retenir de son parcours politique dans son ensemble. ?

Un héritage politique est un legs immatériel qui transcende les contraintes spatio-temporelles ; il dépasse les frontières et s’adresse à l’humanité toute entière. Dans les lignes qui suivent, nous entendons essayer, autant que faire se peut, de répondre à cette question, à travers des références historiques et notamment en nous fondant sur l’actualité politique en Côte d’Ivoire.

Pour se faire une idée de ce que l’héritage politique veut dire, convoquons des exemples tirés du parcours de certains prédécesseurs du continent. Je commence par le pays des hommes intègres, le Burkina Faso. Ce pays a connu, entre autres, Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Le premier a été Président du Burkina Faso du 4 août 1983 au 15 octobre 1987 (soit 4 ans, 2 mois et 11 jours de règne) et le second du 15 octobre 1987 au 31 octobre 2014 (soit 27 ans et 16 jours de règne). Fait notable, le second a passé ses 27 ans de règne à essayer d’effacer les traces des 4 ans de règne du premier, en vain. Pourtant, l’héritage politique laissé par Thomas Sankara a résonné et résonne encore dans la conscience collective de la jeunesse africaine, en des termes simples : un message d’authenticité, d’africanité, de rupture avec l’ordre néocolonial et impérialiste. Telles étaient et sont encore les aspirations de la population africaine. Blaise Compaoré, tel un animal pris au piège dans un filet, n’a fait que contribuer à amplifier l’héritage politique de son rival. Aujourd’hui encore, Thomas Sankara vit six pieds sous terre et Blaise Compaoré, deux pieds sur terre, mais face au verdict de l’histoire, Blaise reste face contre terre.

Citons un second exemple, celui de Patrice Lumumba et Mobutu Sésé Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga au Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo). Lumumba a été le tout premier Premier Ministre du Congo du 24 juin au 14 septembre 1960 (soit 2 mois et 21 jours) et Mobutu a régné sur le Zaïre du 24 novembre 1965 au 16 mai 1997 (soit 31 ans, 5 mois et 22 jours). Pourtant, qui se souvient encore de Mobutu, en dépit ses 31 ans de règne sans partage ? En revanche, Lumumba est au panthéon des grands leaders de ce monde. Il a régné tel un éclair, mais son héritage politique continue d’être une source à laquelle s’abreuvent tous ceux qui ont soif de liberté.

Il serait réducteur de croire que l’aura persistante de Sankara et de Lumumba dans la conscience des Africains, voire au-delà, est justifiée par l’assassinat politique dont ils ont été victimes, faisant d’eux des martyrs. Nous sommes tous contemporains de l’héritage politique de Nelson Mandela en Afrique du Sud. Contrairement à ce que certains pourraient en penser, l’aura politique de Mandela n’est pas seulement le fruit des trente années qu’il a passées en prison, mais aussi et surtout de sa capacité à s’affranchir des contraintes matérielles et à s’élever au-dessus de la mêlée partisane pour construire une nation.

De Gaulle, Churchill, Roosevelt, Staline, Fidel Castro, Martin Luther King, Mahatma Gandhi sont des figures dont l’héritage continue de marquer le monde et que nous citons tous à profusion. Au niveau africain, les soleils des indépendances ont fait connaître Houphouët-Boigny, Nkrumah, Sékou Touré, Senghor, Lumumba et bien d’autres héros de la scène politique continentale. Ils ont dirigé leurs nations et ont laissé des traces de leur passage. Des grands humanistes aussi bien que des dictateurs ont pu laisser des traces de leur passage sur la scène politique parce qu’ils ont su poser les bons pas pour quitter les sentiers de l’injustice, de l’oppression et de la domination de puissances étrangères. Ce type de légitimité politique s’acquiert dans la gestion de l’adversité et la résistance (pacifique ou armée), et non dans la soumission.

Qu’en est-il de la Côte d’Ivoire ?

L’on ne mesure pas l’héritage et l’aura politiques d’un leader à l’aune de sa popularité auprès de ses militants. Il faut aller bien au-delà. Et comme on aime à le dire, vérité en déca du mont Nimba, erreur au-delà. Il faut l’avouer, notre Président Alassane Ouattara n’a pas bonne presse auprès d’une grande partie de la jeunesse africaine dans la sous-région, sans même parler des Etats de l’AES. Pour un pays qui compte des amis dans des pays comme le Ghana, le Togo, le Bénin et le Nigéria, il est présenté, à tort ou à raison, comme l’un des chefs d’Etats africains qui perpétuent le système de la Françafrique et ce, au détriment des intérêts des peuples africains. Bien des fautes tactiques et politiques ont été commises qui apportent du grain à moudre aux défenseurs de cette thèse. Je ne vais pas m’attarder sur ces faits ici, même si j’aimerais seulement relever le dernier en date. C’est la décision de nos autorités d’accueillir, il y a quelques mois de cela, en villégiature en terre d’Eburnie une délégation de Miss France pour, paraît-il, contribuer à rendre la Côte d’Ivoire attrayante au plan touristique, et cela, aux frais du contribuable ivoirien. Il y a mille et une façons de développer l’attrait touristique d’un pays et notre ministre du Tourisme a décidé de choisir la moins glorieuse des méthodes. Quelle image voulons-nous renvoyer à la population ivoirienne et africaine, surtout dans un tel contexte ? Si cette démarche procure à l’équipe dirigeante un avantage tactique, voire, un gain économique et financier, elle constitue un désastre stratégique et politique, à coup sûr. C’est cette erreur stratégique et politique qui va demeurer longtemps dans la conscience collective. Il eut été plus louable et acceptable que notre ministre du Tourisme envoie des Miss ivoiriennes en France pour promouvoir le destination Côte d’Ivoire. De plus, à vouloir justifier coûte que coûte l’injustifiable, cette démarche frise le ridicule. Les populations ivoiriennes et africaines attendent de nos dirigeants qu’ils accordent la précellence à l’excellence et promeuvent nos valeurs et cultures authentiquement africaines, même dans un contexte de globalisation. Il faut savoir surfer sur la bonne vague, apprendre à soupeser nos décisions et surtout accepter de perdre tactiquement et économiquement sur du court terme, pour gagner stratégiquement et politiquement sur le long terme. Tout n’est pas qu’économique et financier dans un Etat.

Par ailleurs, en la matière, n’en déplaise à certains, l’ancien Président Laurent Gbagbo a une longueur d’avance sur le Président Alassane Ouattara. Pour des raisons idéologiques et/ou par opportunisme politique, il sait parler à la conscience des jeunes Africains. Il a appris à surfer sur ce type de vague. Son soutien aux régimes putschistes des Etats de l’AES n’en est qu’une autre preuve. Il n’est certainement pas un thuriféraire des coups d’états, mais il sait, plus que quiconque, que les discours populistes des régimes de Bamako, de Ouagadougou et de Niamey trouvent un écho favorable auprès de la jeunesse africaine. De paria hier, il est aujourd’hui devenu un de leurs hérauts, voire même un héros. Qui pourrait le lui reprocher ? D’ailleurs, n’est-il pas celui qui s’est dressé contre la puissance tutélaire qu’est la France ? Raison de plus pour l’aduler à l’heure où les populations des États de l’AES et, même au-delà, ont choisi de tirer à boulet rouge sur tout ce qui sent et sonne politique française. Toutefois, pendant sa marche, Laurent Gbagbo a eu la chance d’avoir avec lui d’éminentes personnalités comme Memel Fotê, Barthélemy Kotchi, Séry Bailly, pour ne citer que quelques-uns. Ces personnalités étaient des garants moraux de l’idéologie de son parti. Elles veillaient à éviter les dérives et autres tournis que procurent l’ivresse du pouvoir. Il a entamé sa chute lorsqu’il a commencé à tourner le dos à ces figures emblématiques pour ensuite s’entourer d’autres à la vision on ne peut plus critiquable.

L’ancien président Henri Konan Bédié (de regrettée mémoire !) est aussi un autre monument de la politique ivoirienne. Il a contribué, à sa façon, à maintenir le climat de paix que connait la Côte d’Ivoire actuellement. S’il est vrai qu’il a laissé une trace indélébile dans l’esprit des militants du PDCI, aux yeux de l’opinion nationale et internationale, il demeure le père de l’ivoirité, un concept identitaire aux contours brumeux et fumeux qui a contribué à balafrer le tissu social en Côte d’Ivoire. Quoiqu’il ait fait amende honorable au soir de sa carrière politique, il sera difficile pour ses successeurs d’effacer cet héritage qui continuera à éclipser ses bonnes œuvres.

 L’héritage matériel (inheritance en anglais) et l’héritage immatériel (legacy en anglais) sont deux ordres de valeurs différentes. Si le premier est de nature rigide et corrosive comme le fer parce qu’il reste sujet à l’effet du temps, le second reste, en revanche, flexible et inoxydable parce qu’il sait résister à l’effet du temps. Les deux concepts ne sont ni interchangeables, ni mutuellement exclusifs, encore moins inversement proportionnels. Il est possible de les cultiver tous les deux de manière concomitante quoique l’un ne saurait se substituer à l’autre. Par ailleurs, l’héritage matériel déchire les familles tandis que l’héritage politique immatériel réunit les ennemis d’hier sous une même bannière. Et enfin, l’héritage matériel appauvrit lorsqu’on le partage alors que l’héritage immatériel enrichit encore davantage lorsque les consciences s’en abreuvent.   Le père fondateur de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, l’avait bien compris. Il a laissé à ses héritiers filiaux et politiques des biens matériels qu’ils ont fini par dilapider. Par contre, l’héritage politique immatériel qu’il a bâti au cours de sa carrière continue de briller bien plus au-delà même des frontières de la Côte d’Ivoire.

Sankara, Lumumba et Mandela n’ont certainement pas eu autant de longévité au pouvoir et ils n’ont probablement pas construit autant d’infrastructures comme Ouattara l’a fait en Côte d’Ivoire, mais leurs héritages politiques parlent pour eux. Ce sont des leaders charismatiques qui ont su s’élever au-dessus de la mêlée et des intérêts partisans pour construire une vision pour leur peuple. Ils ont tracé des sillons pour leur pays que même leurs successeurs ont du mal à effacer. Ils ont posé des actes qui retentissent encore et encore dans la conscience de leurs contemporains et dans l’esprit de leur postérité. Comme nous l’avons dit plus haut, l’héritage politique d’un leader est un bien immatériel qui transcende les contraintes spatio-temporelles. Il n’a rien à voir non plus avec la longévité au pouvoir, encore moins le nombre de mandats présidentiels. Il n’est point besoin de régner ad vitam aeternam pour en léguer à sa postérité. Il suffit d’un instant sur la scène politique pour inscrire son action dans les cœurs de plusieurs générations.

Notre objectif en écrivant ces lignes, loin de vouloir porter atteinte à l’image du Président de la République, est d’inviter les élites et intellectuelles du RHDP à redorer le blason du Président de la République, pas aux yeux des militants de leur parti, mais auprès de l’opinion continentale et mondiale. Le Président Ouattara est un grand homme politique et un leader charismatique qui a tant fait pour son pays et pour la sous-région ouest-africaine. Il est un bâtisseur qui doit laisser à ses contemporains et à la postérité un héritage politique immatériel digne de son rang. A cause des conséquences de la crise post-électorale, il a longtemps été englué dans les considérations d’ordre économique et matériel (croissance économique à plusieurs chiffres, développement des infrastructures, nombre de centres de santé et de salles de classes et universités, taux d’électrification, lutte contre la pauvreté et l’insécurité, etc.). La majeure partie de son règne a essentiellement été consacrée à la mise en avant d’indicateurs macroéconomiques et microéconomiques chiffrés (niveau d’endettement, PIB, IDH, corruption, etc.). Ce sont là des préoccupations légitimes pour un dirigeant, et les Ivoiriens lui en seront reconnaissants. Cependant, ce sont des indicateurs qui sont limités dans le temps et dans l’espace et ces choses-là s’effacent très rapidement de la mémoire des individus. Elles sont de nature conjoncturelle et susceptibles de s’écrouler à la moindre petite perturbation, en cas d’éclatement d’une crise sanitaire ou sécuritaire. De toutes les façons, vos rivaux politiques trouveront toujours à redire sur votre bilan économique et social, et ce, quelles que soient vos performances.

L’Afrique et le monde attendent toute autre chose du Président Ouattara pour rentrer dans l’histoire et avoir sa place au panthéon de ces grands leaders africains. Il lui faudra s’affranchir des certaines contraintes et contingences domestiques pour prendre de fortes décisions, qui souvent pourront aller à l’encontre des aspirations des militants de son parti. Car ce qui compte par-dessus tout, c’est de laisser un héritage politique immatériel qui résonnera par-delà les frontières de la Côte d’Ivoire et même de l’Afrique. Au-delà des discours militants et partisans, il revient à ses collaborateurs d’œuvrer avec méthode à cette tâche immense. Il en est encore temps. Nous osons espérer que notre message sera entendu là où il le faut.

Certaines personnes choisissent d’être des virgules dans l’histoire, d’autres des points-virgules et même des points. Mais les vrais leaders, les véritables leaders finissent par devenir des pages sur lesquelles s’écrivent les lignes de l’histoire.

HASSANE TRAORÉ

Observateur de la vie politique

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Cet article a paru dans le N°751

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